Il aura fallu près de 10 ans au petit studio tchèque Cinemax pour exposer au commun des mortels un RPG PC atypique mêlant quelques codes du hack’n’slash à ceux du donjon crawler. Commencé en 1999, Inquisitor, est le fruit de la patience, de la motivation et de la persévérance d’une bande de développeurs qui, à leurs heures perdues, ont mis toute leur âme dans un titre qui ne peut laisser indifférent. Ce petit bijou du jeu de rôle à l’ancienne a officiellement vu le jour en 2009 mais n’est à ce moment-là accessible qu’aux tchècophones. Trois années supplémentaires ont été nécessaires pour la naissance d’une version dans la langue de Shakespeare et trois de plus pour une version française. Si les inconditionnels du genre sont réputés patients, que peut-on attendre d’un RPG dont les prémices remontent à près de deux décades ?
Inquisitor un RPG qui vous ferait dénoncer votre propre mère à la Sainte-Office
Ah la Sainte-Inquisition, une période fascinante où le moindre soupçon d’hérésie faisait l’objet de la question et se soldait le plus souvent par un aller simple sur le bûcher… Nous sommes en 1228, le royaume d’Ulther sombre dans le chaos et la fin du monde est proche. Les fléaux de Dieu ont frappé et des rejetons de l’enfer menacent partout. L’ambiance règne ! Qui plus est vous êtes aux mains de la Saint-Office qui s’apprête à vous soumettre à la question histoire de vérifier si vous avez un quelconque lien avec la prolifération de ces engeances démoniaques. Votre avenir semble compromis et à l’horizon plane inéluctablement, la mort.
La bonne nouvelle c’est que deux hommes se revendiquant serviteurs de Dieu brandissent une belle bourse d’or comme preuve incontestable de votre innocence. Mais la miséricorde a un prix et en échange, ils vous missionnent à Hillbrandt pour faire la lumière sur la mort d’un mystérieux marchand qui ne semble pas tout à fait étranger. Votre premier interlocuteur : Vallarian, le Juge de l’inquisition…
Inquisitor vous permet d’incarner 3 classes : paladin, prêtre et voleur. Pour chacune il est possible de monter les échelons respectivement dans la Confrérie des justes, l’Inquisition, et la noblesse. D’ailleurs, l’interface visuelle varie selon votre choix. Le voleur a droit à une jolie interface dorée, et pour le prêtre c’est très austère.
Premier point de chute : Hillbrandt. Une charmante bourgade, réputée pour ses joyaux architecturaux où outre, votre enquête principale sur la mort d’un marchand, vous devrez aider le bourreau à se débarrasser de sa malédiction, sauver une demoiselle en détresse enlevée par un amant indélicat, chasser une araignée trois fois plus grosse que vous, récupérer un livre magique dans des mines peuplées d’orques et pléthore de créatures fantastiques, et bon nombre de missions toutes les unes plus délirantes que les autres.
Au fur et à mesure de vos charmantes rencontres avec les PNJ de nouvelles zones seront accessibles, mais réfléchissez bien avant d’aller les visiter. Dans Inquisitor RPG, le niveau des mobs est fixe, et il n’est pas rare de se heurter fortuitement à des créatures qui peuvent vous occire instantanément. Mieux vaut alors remettre l’exploration à plus tard. Et question exploration on en a pour son argent. Plus d’une trentaine de zones réparties sur trois actes sans compter l’abondance de niveau des différents donjons qui sont si gourmands qu’elle en devient parfois lassante…
Une mention spéciale toutefois pour la modélisation des chapelles et églises au cachet inégalable à et la bande son qui renforce l’immersion dans les abysses de cette période sombre si tant est que l’on soit sensible à l’abondance d’orgue dont le niveau sonore est parfois trop gourmand.
Pour vous accompagner dans votre enquête et rendre plus ludique l’exploration de donjon, vous pouvez recruter des compagnons qui se feront une joie de partager avec les expéditions les plus périlleuses. Mais, il y a une contrepartie à tout. Vos amis tapent sans vergogne dans votre stock de potion et ont tendance à n’en faire qu’à leur tête. Bien entendu, vous pouvez calmer leurs ardeurs en leur donnant des ordres rudimentaires et c’est à peu près tout. D’ailleurs, on peut déplorer que l’interaction avec les compagnons se résume au nécessaire vital. Pour un RPG aussi verbeux qu’Inquisitor, implémenter des quêtes spéciales ou quelques dialogues aurait été bienvenu…
On peut comprendre que les dialogues avec Diabolus (le chien) puissent être limités, mais ce damoiseau a l’air d’en avoir assez dans le ciboulot pour causer un peu plus…
Outre l’affrontement avec des engeances démoniaques ou créatures fantastiques tout droit sorties de l’univers de Tolkien, votre principale occupation sera de mettre en lumière des cas de blasphème, d’hérésie ou de pieux mensonges… Pour cela il vous faut réunir des preuves, et la quantité nécessaire pour procéder à une arrestation dépend du rang de noblesse du prévenu. Dans certains cas, vous serez amené à menacer ou soudoyer un honnête citoyen pour qu’il daigne pratiquer la délation, dans d’autres, vos interlocuteurs s’avéreront loquaces d’eux-mêmes, par intérêt ou par entière dévotion envers l’Inquisition. Bref, une fois les preuves en votre possession, vous pouvez aller arrêter le suspect pour le soumettre à la question qui vous suivra de son plein gré ou non. Ainsi s’amorce la partie la plus sadique d’Inquisition, mais qui fait aussi son charme : la question. Pour se faire, on a l’embarras du choix : le pilori, le chevalet et d’autres divertissements feront leur apparition dans les actes suivants. Notez qu’interroger un innocent diminuera votre alignement ce qui est fort utile pour augmenter la puissance des sorts de l’école inquisitoriale.
Une fois que le prévenu a avoué ses péchés, il vous incombe de le soumettre au jugement divin qui a la condamnation facile…
Inquisitor, un RPG a mi-chemin entre le hack’n’slash et le donjon crawler
Dès les premières minutes de jeu, difficile de rester insensible à la qualité de la narration d’Inquisitor. Certes, il faut aimer les textes verbeux, mais chaque rencontre, chaque dialogue se déguste comme un bon livre et est instructif par ses références historiques, idéales pour briller en société. Toutefois, à l’instar des autres faiblesses de ce jeu, plus on avance dans l’aventure, plus on frôle l’overdose. Ce n’est pas tant la générosité de la prose qui pêche, mais plutôt cette impression latente de monologue continuel dans lequel le joueur n’est qu’un spectateur.
Cette profonde lassitude, on la retrouve également dans le système de combat. Ici, point de combat tour par tour, simplement la pause active pour faire chauffer les méninges avant chaque affrontement. Les sept écoles de magies blanches et noires offrent l’embarras du choix, mais, l’enchaînement du lancement des sorts est mal équilibré, or des sorts, vous allez en lancer. Pour éclairer ne serait-ce que deux mètres devant vous, une caverne plongée dans la pénombre, pour léviter à travers une flaque de lave qui pourrait occire vous et vos compagnons instantanément, pour ouvrir un coffre au trésor verrouillé magiquement, etc.
Malheureusement, après chaque sort lancé, il faut attendre deux ou trois secondes avant d’en lancer un autre, et là c’est la catastrophe ! Il est commun de trouver un ennemi bien costaud au sortir d’une flaque de lave, lors de l’ouverture d’un coffre, ou au détour d’un croisement dans un donjon. Problème, à part laisser vos compagnons tanker, vous ne pouvez pas faire grand-chose… Mention déshonorable pour le sort de résurrection que vous serez amené à lancer 87343983 fois qui a un cooldown de près de 20 secondes. Idem pour certains malus indispelables qui vous ralentissent et qui ne vous donnent aucun autre choix que d’attendre. Mais qu’est-ce qu’on est censé faire pendant ce laps de temps ? Un café ?
Autre faiblesse, certains donjons ont près de 10 niveaux et n’offrent aucune possibilité de retour rapide type un portait de téléportation comme dans Diablo II pour réparer son équipement ou acheter des potions, et les potions ça part comme des petits pains. Vos compagnons seront souvent très assoiffés, et vous aussi grand consommateur de mana que vous êtes. Il y a bien une astuce, celle d’acheter une « boîte magique » qui, une fois brisée, libère un djinn avec lequel il est possible de commercer ou qui peut vous téléporter, mais à 5000 po, il faut bien réfléchir avant de l’utiliser, surtout que le djinn peut vous aider à défaire des ennemis coriaces.
Aussi, les donjons regorgent de passages secrets qui abritent des leviers, indispensables pour ouvrir des portes et passer au niveau suivant. Problème, la plupart des portes sont piégées, ce qui vous oblige à claquer un sort de résurrection et d’aller vous faire le 150e café de la journée… Autre souci, certaines portes s’ouvrent par des interrupteurs qui correspondent à un carré d’un pixel sur un. Mis à part cliquer partout comme un dératé, vu la définition des graphismes d’Inquisitor RPG, difficile d’entrevoir une autre solution…
Soulignons tout de même la qualité de certaines énigmes que vous serez amenées à résoudre dans les donjons. Plus ludiques que le clic intempestif sur la surface des murs des tombeaux, chapelles et caves, pour déverrouiller une zone, il vous faudra remuer les méninges pour trouver la solution à des devinettes, non dénuées d’humour.
« Je ne suis pas un vampire, mais le sang, j’en vois : je vous l’interdirai, bien que ne sois pas la loi ; même si vous m’aidez, vous n’obtiendrez rien, mais si vous me trahissez, je vous ferai très mal. Qui suis-je ? » Ben… Une épouse !
Ce type de clin d’œil est d’ailleurs omniprésent dans Inquisitor. Le jeu est certes très sombre, mais l’on retrouve au fil de l’aventure de l’humour à doses non mesurées, et aussi des références à des classiques.
Attention à être gentil avec Norman le boucher qui cause à sa mère qu’il est le seul à voir… Vous l’aurez compris, un beau clin d’œil à Psychose !
Inquisitor RPG regorge de particularités et de surprises sur lesquelles il est plaisant de s’attarder, mais malheureusement, les manquements ne se limitent pas au système de combat.
Une interface difficilement maniable
Tout d’abord l’absence de mini-map qui est un frein assez important dans votre avancée. Il existe certes une carte par niveaux, mais comme il faut ouvrir le menu à chaque fois pour la consulter, à la longue c’est lassant. Hormis un sens de l’orientation des plus aiguisé, je vois mal comment il est possible de passer outre cette faiblesse…
Ensuite, le journal des quêtes est brouillon. Il se divise en « quêtes », « notes » et « preuves » ces dernières étant indispensables pour espérer passer un individu à la question. Encore une fois, il est très difficile, sauf si vous avez une mémoire d’éléphant, de se repérer dans ce journal. Il faut jongler entre les pages de quête et d’annotations parce que celles-ci n’apparaissent pas dans l’ordre chronologique… Bref, le journal n’est aucunement intuitif et c’est dommage.
Enfin, au niveau de l’inventaire, c’est la même chose. Dans 99 % des RPG, hack’n’slash ou même donjon crawler, l’interface laisse la possibilité de classer les objets par poids, type d’objet, et de libérer la place vide pour ses achats et loots. Ici, il faut tout faire à la main et vous serrez vite ennuyé par les dizaines de minutes passées à trier vos potions, parchemins magiques, armes, objets non identifiés, pierre tombale, cercueils… ou même cadavres.
Une page de potions à demi-consommées…
Qui plus est l’inventaire arrive rapidement à sa capacité de saturation. Vous remplissez trois pages avec des potions (santé, endurance et mana) à mon sens le minimum vital pour prétendre terminer un donjon. Il vous reste donc une page pour le loot, or, vous devez également trimballer les objets de quête qui parfois sont très encombrants. Inquisitor RPG n’intègre pas de système de poids, vous pouvez donc transporter deux cadavres, six squelettes tant que l’espace le permet. Mais le jeu ne propose pas de louer une auberge pour y laisser ses affaires. Vous devez tout au long de l’aventure, transporter des objets de quête que vous serez vite tentés de détruire pensant qu’ils ne vous seront plus utiles par la suite. Le hic, c’est qu’arrivé à la toute fin du jeu, vous vous rendez compte de votre erreur. Que faire ? Recharger une sauvegarde avec 10 heures de jeu alors que vous en êtes à 70 ? Pas possible, autant jeter l’éponge…
La seule solution pour se sortir de cette mauvaise posture est d’utiliser la « console » qui vous permet d’ajouter des objets, faire pop’ des PNJ et c’est désolant. Comment finir le jeu sans devoir « cheater » par la console parce qu’on a buté un tel personnage, détruit un objet de quête par manque de place ou tout simplement parce qu’il y a un bug, quand on déteste la triche ? Eh bien c’est (quasiment) impossible. Si l’on ajoute cela au fait que les retours sont monnaie courante, que votre personnage se bloque régulièrement dans les décors entraînant sa mort prématurée ou l’obligation de recharger une sauvegarde, que vos compagnons passent leur temps à crever et vous à les ressusciter, que vous claquez toute votre épargne en potions et qu’en plus toutes les portes et tous les coffres ou presque sont piégés, il est utopique de finir le jeu sans aide, même si vous avez des nerfs d’acier.
Tous ces petits manquements font, qu’à partir de la fin de l’acte II, qu’au sentiment de déjà-vu s’ajoute une certaine lassitude. L’histoire se répète, c’est la surenchère et on n’est plus surpris par le dénouent. Torturer, juger et exécuter encore plus de personnes, visiter des donjons encore plus remplis de monstres et encore plus profonds, bref ce qui était intéressant, le devient un peu moins et l’essence d’Inquisitor RPG se délie peu à peu. Pour être franche, j’ai parcouru le troisième acte en me servant de la soluce car je n’avais plus le courage de chercher par moi-même et que les divers bugs et faiblesses d’interface commençaient sérieusement à peser. Pourtant, Inquisitor est loin d’être un mauvais jeu, c’est même tout le contraire. Les bugs pourraient être résolus par un patch, pour le reste le jeu possède un cachet inégalable et les détracteurs du hardcore sont invités à passer le chemin.