Lovecraft est une source inépuisable d’inspiration dans le cinéma, la littérature et même les jeux vidéo. Et aujourd’hui, ce n’est pas mentir de dire que c’est un peu la mode de décliner à toutes les sauces le mythe de Cthulhu et plus généralement le bestiaire lovecraftien ainsi que ces décors empreints d’une noirceur dérangeante. S’il y a du bon dans tout ça, la lovecraftmania fait naître aussi de beaux navets, et ce, quel que soit le support. À en croire les commentaires, Stygian : Reign of the Old Ones ferait partie de ces mentions déshonorantes. Pourtant, un jeu de rôle se déroulant dans les années 1920 dans un Arkham coincé dans une dimension parallèle, c’est prometteur ! Mais les retours sont plutôt mitigés pour ce jeu indépendant financé sur Kickstarter en 2016 et développé par un studio turc, j’ai voulu vérifier pourquoi.
Une grande liberté quant à la création du personnage
Avant de plonger dans les méandres des inspirations du genre lovecraftien de Stygian : Reign of the Old Ones, il faut passer par la sempiternelle étape de création du personnage. Parmi les possibilités qui s’offrent à vous, le choix du sexe, l’âge, qui vous permet d’obtenir des points supplémentaires d’attributs et de compétences, l’archétype, correspondant dans les grandes lignes au background et le système de croyances qui détermine comment vous pourrez au long de l’aventure regagner de la santé mentale.
Réfléchissez bien à ce point-là, dans Stygian : Reign of the Old Ones, la santé mentale est presque plus importante que la santé physique. Puis, reste à déterminer les attributs : physique, agilité, esprit, volonté, etc. – que vous ne pourrez pas augmenter durant la partie, décidément, c’est la mode – et les compétences : armes à feu, sorcellerie, enquête, etc.
Si Stygian : Reign of the Old Ones est réputé être un jeu difficile, votre personnage sera tout le long de l’aventure en bonne compagnie (2 compagnons + un PNJ selon les quêtes). Ainsi, avec un peu de jugeote, en équilibrant les différentes feuilles de ses amis, la prise en main de l’aventure reste tout à fait abordable. Et si la création du personnage n’est pas votre fort, vous pouvez toujours piocher dans les archétypes préconçus.
Un RPG déroutant sur les traces de Lovecraft
Oh, mais il faut tout noir ici…
L’entrée en matière est des plus étonnante. Notre personnage se réveille en pleine nuit dans ce qui semble être une chambre de fortune, aménagée dans un grenier, les paupières encore engourdies par le sommeil. Il fait sombre et seule la lueur d’une petite lanterne posée dans un coin brise ce climat peu engageant. Tiens, il semble que nous ne sommes pas seuls… À l’autre extrémité de la pièce se tient un personnage pour le moins intrigant. Un homme, vêtu de violet, semble nous observer avec insistance, puis tourne les talons et disparaît dans la pénombre. Que faire ? Le suivre. Effectivement, c’est non sans mal que nous levons du matelas sommaire qui nous sert de couchage, saisissons la lanterne qui nous sera fort utile dans l’avenir et nous lançons à la poursuite de l’étranger.
Drôle de manière de danser…
C’est en robe de chambre que débute le périple à travers les rues d’Arkham. Les bâtiments sont décrépis, les habitants s’adonnent à une valse macabre puis sont en proie à une mystérieuse folie qui les pousse à … s’entretuer. Bref, le ton est donné. Dans Stygian : Reign of the Old Ones règne une ambiance hautement anxiogène. La bonne nouvelle, c’est que cette première excursion n’est qu’un rêve. La mauvaise est que la réalité est bien pire. Une fois réveillé, cette fois pour de bon, l’homme lugubre nous invite à le rejoindre. Voici une quête pour le moins originale ! Comment diable retrouver un individu qui semble relever d’un songe maudit ? Surtout qu’à Arkham, depuis le Jour Noir, tout n’est que désolation. La ville est déchirée d’une part par les exactions du Culte et de l’autre par la mafia. Les ressources indispensables se monnaient contre des “clopes” et autant le dire, les temps sont durs !
Cool, une statuette Cthulhu, la suite de l’histoire paraît alléchante.
Stygian : Reign of the Old Ones : un jeu délicieusement verbeux
Les descriptions narratives sont dans le ton.
Maintenant que l’ambiance est posée, parlons de ce qui fait la profondeur de ce titre qui pourtant ne paye pas de mine : la narration. Contrairement à certains très bons RPG des années 2000 où les PNJ rencontrés peuvent manquer cruellement de personnalité, dans Stygian : Reign of the Old Ones c’est tout le contraire. Chaque dialogue permet d’en savoir davantage sur les mythes et légendes lovecraftiens, d’écouter de palpitantes anecdotes d’avant le fameux Jour Noir, sans oublier les compagnons avec lesquels il est possible de tisser un semblant de romance (Oui oui, comme dans Baldur’s Gate).
Mon premier rencard avec un compagnon (l’Étranger).
En fait, la narration est si prenante qu’à aucun moment on n’est tenté de cliquer au hasard pour mettre fin au dialogue, et surtout, il vaut mieux éviter, une mauvaise réplique pouvant avoir des conséquences désastreuses – par exemple la mort…
Mention spéciale également aux différents carnets, journaux de notes, plans, affiches dont le joueur se détecte non sans gourmandise. L’univers de Stygian : Reign of the Old Ones est résolument réaliste et chaque petit détail de ce type lui donne une profondeur bien enviable. Néanmoins, la version française semble comporter quelques bugs : code source s’affichant à la place d’une réplique, coquilles, mots non traduits.
… et transcendant d’imagination
Autre aspect déroutant de Stygian : Reign of the Old Ones : la richesse des différents tableaux. Dans la plupart des jeux que j’ai pu tester auparavant, les décors étaient parfois sans grande finesse. Or, sans être trop tatillonne sur les graphismes, l’ambiance graphique y est pour beaucoup question immersion. Vu l’univers et l’inspiration, on attend de Stygian : Reign of the Old Ones beaucoup de noirceur. Et ne vous en faites pas, de côté-là, on en a pour son argent. Mais la bonne surprise, c’est qu’entre deux tableaux baignés de sang, de créatures surnaturelles, de mafieux avec de gros flingues et autres gentleman, apparaissent subrepticement des petites scènes reposantes, très colorées mais qui suscitent une sorte de malaise tel un néant onirique.
Un peu perché, n’est-ce pas ?
Aussi, l’aventure est ponctuée de petites cinématiques qui viennent approfondir un embranchement de l’histoire ou tout simplement illustrer une quête. Comme elles s’inscrivent dans la continuité de l’action, elle ne pallie pas la dynamique du périple dans Arkham, au contraire elles lui donnent beaucoup plus de corps. Ainsi les différents meurtres, fantaisies du culte et même certains événements aléatoires sont complétés avec ces courtes animations qui, bien que parfois dispensables dans l’histoire principale, savent contenter les joueurs avides de quelques bonus.
Le fanatisme tue…
L’important n’est pas de gagner, mais de survivre
Paradoxalement, dans Stygian : Reign of the Old Ones la difficulté ne réside pas vraiment dans les combats. Certes, l’affrontement au tour par tour de certaines créatures est plutôt ardu et il vous faudra de préférence un bon personnage mêlée dans l’équipe et au moins un occultiste – les sorts étant relativement badass. Mais, finalement comme on le découvre assez rapidement, au bout de quelques échanges de tir, dans Stygian, pas besoin de tuer tous les ennemis pour que le combat soit considéré comme gagné. Il suffit d’utiliser les lieux d’évacuation (une zone de fuite), une fois qu’ils sont disponibles. Et à vous l’XP et le loot. Donc, sauf lors de quelques boss où il faudra faire chauffer les méninges pour concevoir une stratégie, de ce côté-là c’est plutôt facile.
Le problème avec ces créatures c’est qu’on ne sait pas trop où est la tête...
Ce qui l’est moins, c’est la gestion de votre personnage hors combat. En effet, outre la santé physique, il vous faut également gérer la santé mentale sous peine de sombrer dans la folie (et le game over). À noter aussi qu’une santé mentale au plus bas génère de l’angoisse, qui donne lieu à une sorte de montée de niveau parallèle où il faut choisir des compétences qui octroient des malus. La santé mentale est mise à mal principalement par les visions d’horreur : la vue d’un cadavre, d’une cérémonie hérétique, de phénomènes bizarres, bref tout ce qui est inhabituel.
Aussi, lors des déplacements entre les zones, des événements aléatoires et peu catholiques contribuent à cette perte de santé mentale tant précieuse et qu’il faut savoir maintenir à niveau correct. Pour ce faire, impossible d’échapper à l’usage de drogues ou d’alcool qui soit dit en passant coûtent une blinde en clopes (monnaie local du jeu). Or, la consommation de telles substances créée des addictions. Et les addictions entraînent un manque que le pharmacien peut vous soigner moyennant une contrepartie un peu humiliante…
Allez, une p’tite photo M’dame, et on voit après pour votre petit problème de cocaïne…
Autre point important, la faim et la fatigue. Si la première est régulée par l’achat d’appétissantes boîtes de conserve, la seconde peut être endiguée par un dodo dans le grenier miteux d’un bar ou par une agréable session camping au coin d’un feu. Lors des phases de repos, les compagnons peuvent utiliser différents talents pour améliorer la santé physique ou mentale d’un congénère, déchiffrer des sorts, découvrir des plans pour l’artisanat, d’où l’importance d’avoir au moins un personnage maîtrisant la médecine histoire de pas avoir à se droguer toutes les deux secondes et faire des rêves assez déroutants. Néanmoins, notez que le camping n’est possible qu’à de rares endroits du monde de Stygian : Reign of the Old Ones, mieux vaut donc user de quelques petits procédés récréatifs pour pallier les caprices de vos personnages.
Stygian : Reign of the Old Ones : une fin qui fâche
Si ce petit tour d’horizon permet de se faire une idée quant aux multiples péripéties et expériences fascinantes présentes dans Stygian : Reign of the Old Ones, il faut tout de même mentionner le gros défaut du jeu et qui lui fait perdre la 6e pépite qu’il méritait pourtant. En toute honnêteté, cet opuscule n’a quasiment aucun temps mort et l’aventure évolue crescendo au rythme des différentes découvertes toutes les plus étonnantes les unes que les autres.
À mon sens l’une de plus belles scènes du jeu.
Arrivé au paroxysme de la narration, sur fond de rebondissements et de mini-tableau transcendants, le joueur est excité à l’idée de découvrir encore les mystères de ce monde, mais… voilà qu’arrive l’écran des crédits. Incrédule, on pense à un bug, ou encore à une mauvaise réplique sélectionnée dans le feu de l’action. On recharge alors une ancienne sauvegarde. Mais non, rien ! On consulte alors son journal de quêtes. Tiens, tiens, cette quête-là, n’est pas terminée, celle-là non plus, la trame principale quant à elle est négligemment résumée dans la cinématique. Et tout cela n’incombe pas au joueur, puisque techniquement, il est impossible de les compléter avant… Ne manquerait-il pas du contenu ? En fait, c’est un peu comme acheter une trilogie de livres et une fois arrivé à la fin du tome I se rendre compte que les volumes II et III sont résumés sur deux pages tirées de la Wikipédia. Clairement, je ne sais pas quel est le délire, mais Stygian : Reign of the Old Ones est un jeu inachevé. Voilà donc ce qui explique la farandole de commentaires des joueurs français mécontents et ils ont une bonne raison de l’être…