S’il y a bien un jeu vidéo qui a largement fait parler de lui à sa sortie, c’est Disco Elysium. Encensé par la presse vidéoludique, considéré par certains comme un « chef d’œuvre absolu », par d’autres comme un « RPG intelligent et audacieux » ou encore comme « le jeu de rôle sur PC qui ringardise tous les autres », ce titre produit par le studio estonien ZA/UM a incontestablement fait des émules – principalement chez le public anglophone puisqu’il a fallu attendre décembre 2020 pour jouir d’une traduction française. Et il faut avouer que cette version française est plutôt bienvenue puisque Disco Elysium ne contient pas moins de 1 million de mots ce qui correspond en matière de volume à l’intégrale de la saga Harry Potter. Bref, les allergiques à la lecture et aux RPG PC verbeux pourront d’emblée passer leur chemin.
L’alcool c’est mal m’voyez
Après avoir choisi un des 3 archétypes proposés par le jeu – philosophe, sensible, physique – ou avoir créé le vôtre, vous vous réveillez péniblement dans une chambre d’hôtel sens dessus dessous, avec un seul slip blanc cachant à peine votre attirail. Vous ne savez ni où vous êtes ni qui vous êtes. Votre mémoire aussi bien sur le court que le long terme est altérée : la seule chose dont vous êtes certain c’est que vous émergez d’une bonne cuite comme en témoigne le mal de crâne persistant et le flot de cadavres de bouteille à vos pieds.

Ça c’est une sacrée cuite !
La première tâche et pas des moindres est de retrouver vos fringues et essayer d’en savoir plus sur ce qui s’est réellement passé la nuit dernière. Une fois une once d’esprit retrouvé, vous quittez votre chambre et tombez nez à nez avec une femme à laquelle votre premier réflexe sera de faire une proposition salace. Elle vous fournit une information capitale : vous êtes flic. Le ton est donné, Disco Elysium ne fait pas dans la finesse et vous êtes condamné à incarner un gros déchet alcoolique et amnésique. Heureusement, le lieutenant Kim, votre plus fidèle bras droit, a pour principale mission de réfréner vos penchants pour l’alcool et les substances psychotropes et aussi de vous empêcher de partir en sucette à chaque occasion. En effet, une tâche des plus importantes vous a été confiée : résoudre un meurtre.

Une automotrice ? Qu’est-ce que c’est que cette machine infernale ?
Mais, comment diable résoudre un meurtre lorsque non seulement on n’a aucune idée de son identité, ni du monde dans lequel on évolue, ni même de ce qu’un flic doit faire pour résoudre une enquête ? Surtout lorsque ledit flic a perdu son insigne et son flingue… Eh bien en causant bien sûr et en inspectant chaque détail de son environnement ! Voilà dans les grandes lignes ce qui vous attend dans Disco Elysium. Reste à savoir si vous serez plutôt du genre “bon flic” ou plutôt celui qui a un attrait particulier pour les pots de vin !
Disco Elysium, une sacrée dystopie
Vous l’aurez compris, les premiers pas seront plutôt difficiles puisqu’il s’agit d’intégrer un flot d’informations sur l’histoire de Révachol, sur la nature des différentes factions et des différends qui les opposent, le tout entrecoupé de soubresauts de dialogues intérieurs très riches. Vos organes ont tendance à vous causer tout autant que les cravates et diverses fringues du jeu, mais également votre conscience qui ne tarit pas de logorrhées. Au fil de ses discussions, le joueur aura donc tout le loisir de s’inventer des opinions politiques et de partager aussi bien des idées néo-libéralistes que plutôt communistes ou au contraire, de rester neutre.
D’ailleurs, le tiroir à réflexions qui agit comme un véritable arbre de talents annexe et qui octroie des bonus temporaires permet non seulement de creuser le lore du beau jeu de rôles qu’est Disco Elysium.

Le tiroir à réflexions, parfois votre meilleur ami, parfois votre pire ennemi…
Le joueur pourra aussi se façonner un caractère combatif et acter une réelle volonté de changement ou décider purement et simplement d’être un flic raté voire même un ripou.

Si vous daignez l’écouter, un gros dur vous apprendra la “théorie des races…”
Disco Elysium promettait “Une liberté de choix sans précédent” et sur ce plan-là c’est réussi, mais… Si l’enchaînement des répliques est plutôt concluant et influe aussi bien sur le lore que sur le devenir de certains personnages principaux, il n’a que peu d’impact sur le background du personnage qui, quelles que soient les décisions prises et les efforts fournis pour être un bon flic, reste considéré par tous les PNJ comme un alcoolo notoire et irrécupérable. Que le personnage ne puisse pas être créé sur mesure, soit, c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des RPG, mais qu’il soit impossible de le façonner ou de lui donner un background plus fort est un gros point noir. La sensation de liberté paraît, d’un coup, plus superficielle et il est d’autant plus difficile de s’attacher à ce disco-flic.

L’alcool nuit gravement à la beaugossitude… !
Un gameplay franchement pas commun
Revenons-en à ce qui fait l’originalité de Disco Elysium : son gameplay. Ici pas de baston, pas de gros flingue ni de grosse armure. Résoudre le meurtre nécessite d’être attentif à ce qui vous entoure – en maintenant la touche TAB des éléments apparaîtront en surbrillance, certains du type « le décor a encore frappé », d’autres essentiels à votre enquête. Ce qui oblige le joueur à faire preuve non seulement de patience, mais aussi à mettre à profit sa curiosité pour inspecter chaque coin. Pour avancer dans votre enquête, chaque indice compte et Disco Elysium n’en tarit pas. Certains objets sont même incontournables et interagir avec vous réservera de belles et parfois humoristes surprises !
Les PNJ sont également une grande source d’information et si le bavardage est essentiel pour en savoir plus sur Révachol, les jets de dés permettent réellement de faire un bond en avant. Il en existe de deux types : les lancers rouges qui ne peuvent être tentés qu’une fois – mieux vaut donc être rodé dans la compétence – et les lancers blancs qui peuvent être réitérés chaque fois que vous gagnez un niveau dans ladite compétence.

Les jets de dés dépendent de vos talents. Il y en a 24 dans Disco Elysium.
Toutefois n’espérez pas qu’ils vous attendent bien sagement à toute heure du jour ou de la nuit. Dans Disco Elysium, l’heure et le jour ont une profonde importance et selon le moment où vous vous trouverez dans telle ou telle zone, les opportunités qui s’offrent à vous ne seront pas les mêmes ! D’ailleurs, il faut noter que le temps ne s’écoule que lorsque vous êtes en dialogue, les déplacements ne comptent pas.
Certains objets en plus du tiroir à réflexions permettent d’améliorer ces talents et de mettre donc toutes les chances de son côté pour réussir un jet. Sinon, il reste bien évidemment la possibilité de se procurer un peu d’alcool ou de drogue pour booster ses performances. Cependant, si vous choisissez cette voie votre bien aimé collègue Kim risque un peu de tirer la gueule.

Dans Disco Elysium, on peut quand même avoir la classe.
Du potentiel, mais…
Le côté résolument verbeux de Disco Elysium est incontestablement une force et place le titre au niveau d’un « livre dont vous êtes le héros » ou plutôt compte tenu des circonstances un anti-héros. Si l’intrigue du meurtre qui constitue la quête principale est plutôt bien ficelée, le reste regorge de faiblesses. L’ambiance décalée et franchement sombre de Disco Elysium laisse au bout de quelques heures place à une profonde lassitude. Certes, on peut se taper une barre en shootant dans une boîte aux lettres ou en faisant un disco-karaoké, mais si on ne partage pas les délires des développeurs, on n’accroche malheureusement pas au jeu.

Un flic disco-star, de quoi mettre la foule en désir…
Les réflexions du personnage relèvent parfois de la philosophie du comptoir et on a la vague impression que ces logorrhées n’existent que pour meubler les faiblesses du jeu qui manque cruellement de surprise et de cachet. Si certaines quêtes secondaires à l’instar de celle de l’église abandonnée ou de la cryptozoologie sont franchement fun, d’autres ne consistent qu’en des aller-retour incessants et franchement barbants compte tenu du pathfinding capricieux. Heureusement/malheureusement, Disco Elysium ne propose que deux principales zones à explorer, ce qui laisse un peu sur sa faim.

Pour combler l’ennui, vous pouvez toujours vous promener à poil dans une librairie…
Si l’idée que le temps est précieux et que chaque minute compte est une prise de partie audacieuse, lorsque le joueur a besoin de le passer pour déclencher tel ou tel événement, il est parfois difficile de trouver des astuces pour sauter quelques heures. Aussi, aucun personnage secondaire n’est franchement transcendant si ce n’est quelques gamins dont les voix sont magistralement doublées.
Quant au dénouement de l’enquête qui constitue la seconde partie du jeu, il paraît bâclé. Sans trop en dire et bien que quelques indices aient été semés au cours de l’investigation, la conclusion comporte trop d’éléments ex nihilo ce qui est contraire aux règles des intrigues policières. Disco Elysium était un pari risqué et trouvera sans nul doute son public. Passer à côté serait se priver d’une expérience vidéoludique novatrice et dans l’ensemble intéressante, mais loin de mériter amplement tous les lauriers qui lui sont décernés.
